A GÉRAUD CHARLES
Ancien parlementaire haïtien, vous avez toujours pris soin de commenter mes textes. Et, récemment, vous avez écrit ceci :
« Pour nos politiciens Haïtiens, nous autres émigrés nous ne représentons rien pour eux. Ils disent toujours que nous ne sommes pas sur le terrain, nous ne connaissons pas la réalité. Comment nous devons faire un ‘‘complot positif’’ pour venir en aide à notre peuple, notre pays. »
Puisque je vous écris une lettre publique afin de mieux informer le lecteur haïtien, je dois commencer par esquisser nos profils afin d’agencer nos points de vue.
J’ai laissé Haïti en 1987, comme étudiant international. Entre-temps, l’endroit que je me tenais autrefois, ce coin de terre que j’appelais patrie s’est désintégré.
Néanmoins, il faut tenir compte des acquis de cette Révolution et les contradictions récurrentes.
La Révolution de 1987 a engendré une Nouvelle Constitution laquelle reconnaît la séparation des trois pouvoirs, a prôné le droit de vote, a garanti la liberté d’expression ainsi que le droit de rassemblement. Elle a renversé toutes les dispositions antérieures à sa création.
Nous avons à notre disposition toutes les éléments d’une démocratie formelle.
Dès lors, des forces antagoniques ont fait surface.
A l’étranger, je me suis réfugié dans les études pendant qu’on assassinait au pays. En 2003, fort de mon savoir, je me suis proposé de plancher sur le dossier national en rédigeant une Réforme générale.
Les vestiges de l’ancienne dictature sont toujours présents dans nos pratiques politiques. L’État continue d’échouer dans sa mission de régulateur et de protecteur. Entre-temps, corruption, obscurantisme, querelles de chapelle, incurie ainsi que d’autres difformités nous empêchent de progresser.
Après mon premier voyage au pays, soit en 2006, j’ai fondé la « Nouvelle opposition nationale », dans le but de canaliser le mouvement du changement vers le succès.
Dans le temps, j’ai financé des réunions, des manifestations de quartier, la distribution de tracts sans compter mes interventions en ligne soutenues par des conférences. Plus récemment, j’ai fait l’acquisition des coordonnées de nos principaux directeurs d’opinion.
De 2006 à nos jours, la technologie a facilité la communication. Malgré tout, l’échange inter haïtien demeure compliqué, difficile et complexe. On se heurte à des instincts antagoniques : jalousie, rancœur, complexe d’infériorité, indifférence, discrétion autant de discordes qui n’ont rien à voir à la politique, pourtant ont provoqué le malheur national.
En 2010, le « Printemps arabe » emporta trois régimes totalitaires en Moyen-Orient : Tunisie, Égypte, Lybie, pour finir avec l’invasion américaine en Syrie.
Chez nous, les antagonismes séculaires, noués depuis l’Afrique nous retiennent dans l’ornière. Un bref regard, jeté sur Youtube indique que nous évoluons dans un univers abominable. On y fait l’éloge de l’infériorité, de l’absurde, de l’obscurantisme. Ce constat dit long sur le niveau de compréhension de nos concitoyens.
Tout ce que je sais de vous, c’est que la population vous a remis un mandat parlementaire. Vous avez une idée sur notre système électoral aussi bien que sur le fonctionnement du pouvoir législatif. En certain sens, vous avez assisté à l’effondrement de l´État, vous avez été témoin des négociations malhonnêtes, vous avez entendu parler de complots souterrains, vraisemblablement vous avez saisi la nature de nos dirigeants.
Émigré, en jetant un regard rétrospectif sur le fonctionnement de l’État haïtien et les pratiques politiques, en comparant les deux facettes de la crise nationale, à partir de deux rives opposées, personne ne peut vous apprendre votre métier d’observateur.
La seule chose, je tiens à vous rappeler que la réalité nationale, qui s’assimile à un enchevêtrement inextricable mérite d’être étudiée en profondeur, non en surface. Nous sommes face à une crise systémique. A partir de cette découverte, je milite pour l’édification d’un « nouvel état » aussi bien que l’ « émergence d’une nouvelle élite politique ».
Il est impossible d’opérer un changement sans retourner toutes les pierres qui jonchent notre chaotique parcours.
Dans la lettre en question, dans laquelle je questionne la capacité littéraire de nos lettrés, vous avez constaté que j’accuse le Pouvoir, l’Oligarchie, sans épargner nos Émigrés. Il s’agit d’une faillite institutionnelle. Et, pour échapper à notre disparition imminente, nous devrions tenter « l’option révolutionnaire ». C’est le plus court chemin, c’est l’unique salut.
Il faut essayer de trouver les origines de la crise actuelle dans l’Etymologie sociale, plus précisément la Généalogie des groupes dominants qui dévastent la nation et qui torturent la population.
En d’autres termes, il est impossible d’aborder notre crise politique sans tenir compte des ramifications sociologiques.
Perdus dans le « noirisme », nous nous sommes retrouvés dans l’abjection.
Aujourd’hui, avec la disparition de l’ancienne élite, trois catégories sociales se disputent le pouvoir. Il s’agit des « Fils d’immigrants », des « Fils de paysan » et des « Fils du peuple ».
Ces bactéries ne disposent d’aucune destination en dehors de faire de la politique pour un enrichissement expéditif.
Ils n’ont pas la prétention de rectifier les carences institutionnelles, ni jeter une infrastructure moderne.
Avec ces Messieurs, le pays n’aura jamais d’hôpitaux, de cités universitaires, de bibliothèques, de musées, aucun site de la modernité.
Nos villes seront infestées de bandits.
Pour contrôler la population, nos politiciens donneront l’ordre de procéder aux enlèvements, d’incendier les quartiers populaires, de couper les routes principales à quoi nous assistons aujourd’hui.
Récemment, l’ancien Président Aristide devrait se faire soigner à l’étranger, on a loué une ambulance et un avion pour l’amener à Cuba. On ignore si le pyjama et les sous-vêtements faisaient partie de la transaction ?
Ses filles qui sont nés à l’étranger y étudient actuellement.
A noter que ses prédécesseurs ont fait autant. Par exemple, Martine Moise, femme que le Bon Dieu a crée de ses propres mains pour laver « nos mosaïques », mais que la politique haïtienne a déguisé en parfait candidat, circule à travers tout le pays, flanquée de ses gardes étrangers.
Elle n’a pas confiance en ceux qui vont l’élire ni ceux qu’elle va représenter.
Pourtant, sur son passage, cette foule que la Terre bannit, que la Nature défèque crie : « Bam Mamam !»
Quelle contradiction !
Depuis certain temps, dans notre pays, la « crasse » détrône la « classe ».
Ce modèle de « mépris national » qui vient de faire son apparition ne sortira pas de nos mœurs. Nous avons empoisonné notre histoire.
Le salut national réside entre les mains de l’Intelligentsia haïtienne, en l’occurrence, nos « parfaits techniciens ».
Je suis conscient que nos experts sont perdus dans leurs expertises. Dépourvus de notions de « généralité », ils peuvent seulement évoluer dans un cadre spécifique, tel que travailler sur un projet qui tombe dans leur domaine de prédilection ou bien gérer une institution.
Par exemple, nos constitutionnalistes croient être à la hauteur de la situation. Mais, comme je viens de le dire, si nous continuons d’ignorer volontairement les contradictions qui nous ont conduits dans ces bas-fonds, si nous refusons de procéder aux rectifications nécessaires, toutes démarches contraires amèneront de plus grands tourments, soit le coup de grâce.
Cependant, en leur remettant le « Projet de la refondation nationale », soit un paramètre tangible, nos experts ne peuvent pas se tromper.
Vous devez vous rappeler que sur ces rives où nous nous tenons, au cours des années soixante dix, une infinité de jeunes gens s’exerçaient au maniement des armes de guerre dans le but de renverser la dictature de l’époque.
Certains d’entre eux ont participé à des invasions, au cours desquelles, ils ont versé leur sang.
Si Haïti renie ses héros, nous autres de l’extérieur, nous devons être conscients de ces cavalcades épiques qui effleurent notre peau comme la pointe des baïonnettes fantômes.
Chaque Haïtien doit faire en sort pour être du côté de la solution, non du problème. J’insiste sur ce point, parce que certains d’entre nous sont devenus célèbres en se contentant de faire des constats, sans aucun souci d’engagement.
Mes longues années de militance m’ont appris que l’Haïtien est un peuple indiscipliné, naïf et réfractaire.
Le « complot positif » dont vous avez proposé connaîtra le succès si on conçoit une nouvelle approche de la crise.
Dans vos planifications, vous devez inclure les points suivant, à savoir : Ouvrir un bureau à Port-au-Prince, Nouer une alliance stratégique avec un petit groupe de citoyens fréquentables, enclin au changement, Assurer le financement des activités.
En d’autres termes, les émigrés doivent éviter d’intervenir directement sur la scène politique nationale. Ils doivent se contenter de nouer des alliances sur le terrain, faire des propositions, financer en dernier recours le mouvement de changement.
Après plus de soixante ans, nos communautés externes restent dépourvues d’identité, de rythme et de dynamisme. Aujourd’hui encore, on ignore le projet de nos émigrés pour leur pays d’origine, à l’exception des martyrs dont j’ai salué le courage.
Les malveillants déclarent dans la presse nationale et internationale qu’il n’existe pas de solution. Négatifs, destructifs, ces charlatans réduisent le pays au niveau de leur indigence.
Nos paysans, les masses et nos émigrés traînent le statut minoritaire, c’est-à-dire ils sont mal représentés politiquement, socialement et légalement. En d’autres termes, nous sommes quinze millions, plus de quatorze millions d’entre nous sont marginalisés.
En revanche, certains de nos émigrés sont académiquement avancés, professionnellement intégrés et économiquement établis. Ils auraient pu jouer un rôle majeur dans le mouvement de renaissance nationale.
En d’autres termes, dans son statut minoritaire, l’émigré haïtien dispose, l’expertise à côté des moyens financiers pour sauter au secours de la patrie.
Victimes de nos croyances, nous attendons le secours de l’OEA, de l’ONU et du Core Group.
N’est-ce pas en avril dernier que je vous ai envoyé LA REVOLUTION 21. Le document contient tous les ingrédients nécessaires dont nous avons besoin aujourd’hui : réforme exécutive, législative, judiciaire, administrative, sécuritaire, constitutionnelle soit le préambule d’un nouvel état. J’ai même proposé une liste de personnalités apolitiques appelées à guider la barque nationale.
Par exemple, combien d’entre nous émigrés sont au courant de l’existence de LA REVOLUTION 21? Pourtant, cette « proposition de sortie de crise » appartient premièrement aux émigrés, deuxièmement à l’Intelligentsia, troisièmement à la société haïtienne.
Malheureusement, ce haut fait d’arme de l’écriture haïtienne est quasiment ignoré, quand un simple discours prononcé par les bandits atteint des milliers de gens instantanément.
En dissimulant ma « proposition de sortie de crise », les ostrogoths, des hommes de sac, des femmes de corde, des créatures du système abracadabrant ont préféré de signer des « Accords politiques », de véritables pacotilles dont l’acte conduira à de plus grandes catastrophes. Ils ont sauvé la crise, après avoir poignardé la solution.
En ces jours difficiles où la nation retient son souffle, attendant le prochain déluge, trois Accords politiques ont vu le jour. Pas un des négociateurs ne renferme le bagage adéquat. Il s’agit de souillures qui engendrent la poussière.
L’ostracisme des nationaux dont vous critiqué est justifié par le fait qu’en 1986, Haïti a déroulé le tapis rouge à tous ses ressortissants. Une cohorte de journalistes les accueillait à l’aéroport. On a vu arriver Lesly Manigat et sa femme, l’un a pris la présidence, l’autre a siégé au parlement. Le professeur Daniel Fignolé fut reçu au Palais national par la Junte militaire. Jean Dominique et Anthony Pascal ont réapparu sur les ondes. Mais, Marvel Dandin et Liliane Pierre Paul ont fondé leur propre station. René Théodore et Max Bourjolie faisaient la promotion du communisme. Plus récemment, Annette Auguste accompagna Jean Bertrand Aristide lors de son premier retour d’exil avant que Gérard Latortue ne nous fut parachuté. Plus corrompu que la corruption, ce noble technocrate nous a légué son cousin, Yury Latortue, caissier de la Primature qu’on surnomma « Monsieur 30% ».
Même quand nos émigrés publient un vilain contentieux sur la scène nationale, je ne connais pas de loi qui nous interdit de participer au développement national.
Je comprends la position des lettrés, des experts, des journalistes aussi bien que mes amis qui après avoir reçu mes documents ont pris soin de les effacer discrètement. Je ne blâme pas non plus les ignorants qui protègent leur ignorance ni les faux prophètes qui cachent leurs jeux.
Il ne s’agit pas de complot mais de position idéologique qui sont malheureusement responsables de la situation actuelle.
D’ailleurs, tout Haïtien est autorisé à créer des partis et des associations politiques. Le problème réside dans le fait que nous voulons réunir en dehors de tout type d’organisation et de collaboration.
La question sur l’intégration de nos ressortissants est mal formulée.
La deuxième génération d’immigrants libanais ont envoyé leur femme accoucher en Amérique du Nord probablement en Europe, aussi. Ainsi, ses enfants détiennent un acte de naissance étranger, des passeports haïtien, libanais, dominicain. Certains de ces apatrides, utilisent plusieurs noms. Malgré tout, ils sont intégrés dans la société haïtienne et sont autorisés à exterminer la population en armant les bandits, en finançant les candidats crapuleux.
Pour conclure, il est impossible d’organiser de « complot positif ». Car, que dans le camp des nationaux, que dans le camp des émigrés, le mal est infini.
L’Haïtien est à la Terre, ce que le malheur est à l’enfer. Inconscient, ce peuple s’organise ardemment pour disparaître promptement.
J’avoue avoir vu un certain type de collaboration, ce qu’on appelle chez nous « l’échec organisé ».
Celui qui veut sauver le pays doit attaquer la crise dans sa genèse, tout en reconnaissant l’existence des contradictions politiques et des antagonismes récurrents.
Pour les raisons avancées, nous autres émigrés nous devons rester en dehors de la scène politique nationale. Nous devons nous contenter d’inspirer le changement en influençant la situation par une alliance stratégique avec quelques acteurs apolitiques locaux, des gens fréquentables tout en prenant la responsabilité de financer les activités de ce groupe, comme je l’ai déjà mentionné.
Le salut réside dans l’organisation. Et, je recommande le texte de LA REVOLUTION 21 à tous les architectes du changement.
Rony Blain
Initiateur de la Nouvelle opposition nationale
Auteur du Guide de la réforme haïtienne
blainrony@yahoo.com